« ...Ce qui arrive...» ou l'art du hasard
Par Eric DAHAN
mardi 14 décembre 2004 Libération
...Ce qui arrive...
Conception et musique de Olga Neuwirth, textes et voix de Paul Auster, images et espace de Dominique Gonzalez-Foerster, Ensemble Modern, dir. Franck Ollu.
Dernier événement du Festival d'automne 2004, la création française de ... Ce qui arrive ... signé Olga Neuwirth, Dominique Gonzalez-Foerster et Paul Auster. La première, née en 1968 à Graz, formée à l'électronique à l'Ircam, et à la composition par Tristan Murail, a séduit jusqu'à Boulez qui a dirigé la création de son Clinamen/Nodus à Londres en 2000, et David Lynch, qui lui a cédé les droits de Lost Highway, dont elle fit un opéra en 2003. La deuxième, plasticienne et vidéaste, est invitée par toutes les biennales artistiques qui comptent et a récemment conçu le spectacle d'Alain Bashung. Quant au dernier, il représente une fascination de jeunesse pour Neuwirth, compositrice singulière et engagée : «Après Lost Highway, dont les personnages luttent contre ce qui leur arrive, je voulais montrer le contraire : des gens qui acceptent la fatalité.»
Au thème du hasard austerien, Neuwirth a ajouté celui de l'artiste qui tente de survivre et de rester indépendant, matière de Hand to Mouth, également signé du «plus français des New-Yorkais». Autre participant au projet, le performer allemand transgenre Georgette Dee, métaphorisant la quête d'identité des personnages austériens. Il apparaît en taille réelle sur un écran, au milieu des musiciens de l'Ensemble Modern de Francfort vêtus de blanc, pour des effets de continuité chromatique élaborés par Gonzalez-Foerster.
Le tout, présenté ce soir à la Cité de la musique, ne relève donc pas du théâtre musical mais plutôt de l'installation visuelle et sonore, avec régie de transformation et spatialisation électronique du son, assurée par l'Institute of Electronic Music and Acoustics de Graz.
Dernière précision, à propos de ce spectacle sur les accidents et coïncidences qui sont la vie même: Paul Auster a lu spontanément ses textes dans la tonalité de ré, qui se trouve être celle de prédilection d'Olga Neuwirth.
Paul Auster revient sur ses thèmes de prédilections, le
hasard, mais aussi la musicalité des mots, le cinéma...
« L'oreille est cruciale
pour lire de la prose»
Par Eric DAHAN
mardi 14 décembre 2004
Né le 3 février 1947 à Newark,
New Jersey, formé à l'université Columbia de New
York, Paul Auster s'est signalé au milieu des années 80
par une Trilogie new-yorkaise qui lui a valu immédiatement succès
critique et public. Depuis, l'écrivain a publié chez Actes
Sud la Musique du hasard, Moon Palace et Leviathan pour citer les plus
fameux, et coréalisé les longs-métrages improvisés
Brooklyn Boogie et Smoke avec Wayne Wang, avant de signer seul Lulu on
the Bridge. Il répondait, dimanche par téléphone, à nos
questions, depuis son appartement de Brooklyn.
Comment s'est passée cette collaboration avec Olga Neuwirth?
Je ne connaissais pas sa musique. Les membres de l'Ensemble Modern de
Francfort m'ont envoyé la vidéo d'un de leurs concerts
dans lequel ils jetaient des balles dans la salle. J'ai trouvé ça
génial. J'ai eu ensuite un échange épistolaire avec
Olga Neuwirth. Je l'ai autorisée à utiliser tous les textes
qu'elle voulait. Puis quelqu'un est venu m'enregistrer à la maison
en train de lire les textes qu'elle avait choisis, sur les thèmes
de la pauvreté et du hasard. Ça m'a pris une demi-heure
en tout. Je suis très curieux du résultat final.
Vous avez en commun avec Neuwirth une sensibilité aiguë pour
l'imprévisible.
Ma vie est faite de coïncidences étranges, inexplicables.
Mais beaucoup de gens ont eu des expériences similaires, ce que
j'ai constaté avec mon True Tales of American Life, qui a consisté à recueillir
pendant trois ans des histoires vraies que j'ai lues sur la National
Public Radio, avant de les publier en recueil. C'est de cela que se nourrit
mon oeuvre. Nous avons notre volonté, nos désirs, mais
un jour nous nous trouvons entraînés en dehors de la route,
nous nous perdons au milieu d'une forêt et nous découvrons
des choses inattendues. Je ne suis pas pour autant l'écrivain
du hasard ou du destin, j'essaie juste de refléter une certaine
forme de réalité.
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